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Les ricains.....
1957
La flotte de guerre Américaine fait escale à Cherbourg…
Partout on ne parle que de cela , de son gigantesque porte-avions WASP , des dix milles marins qui vont séjourner une semaine dans la ville , de mémoire d'autochtone , ça ne s’était jamais vu..
La police militaire a investi la casemate abandonnée où nous allons souvent jouer , près de l’entrée du territoire de l’Arsenal….
réaménagée elle est comme neuve , on se croirait figurant d’un de ces nombreux films en technicolor inspirés de la seconde guerre mondiale , on n’en veut même pas à ces grands gaillards débonnaires , à l’uniforme nickel , casqués de blanc avec les lettres MP en noir sur le devant , qui occupent dorénavant l’un de nos espaces d’aventure..Les navires sont ancrés à l’autre bout de l’Arsenal , derrière la Saline , une plage de galets et de rochers couverts de goémon , considérée comme terrain militaire où seules les familles des marins encasernés ont le privilège d’avoir accès , j’ai la chance de faire partie de ces privilégiés.
Pour y accéder il faut suivre la route d’un kilomètre , bordée d’une succession de casernes , la plupart désaffectées , faisant face aux anciennes fortifications Vauban , désormais envahies d’une épaisse végétation sauvage , pleine d’arbres , de collines , de vallons et de recoins connus de nous seuls , un paradis fabuleux pour la bande de gamins que nous sommes .
Cette route , j’en connais le moindre centimètre , je l’ai parcourue des centaines de fois , d’abord à pied et depuis un récent Noël , sur la selle de mon magnifique randonneur noir de marque CARARRA , nous organisons des courses avec les copains , le kilomètre départ arrêté , nous pédalons comme des forcenés , le nez dans le guidon , les mains en position basse….c’est à celui qui aura le plus beau vélo , nous l’embellissons sans cesse de nouveaux accessoires , j’ai ajouté au mien un compteur de vitesse qui me renseigne sur ma rapidité et la distance parcourue , deux petites hampes de part et d’autre du phare avec fanions qui claquent au vent , un porte bidon avec bidon fixé sur le cadre et de splendides sacoches noires à l’arrière..
Après chaque sortie , nous nettoyons méticuleusement nos machines en insistant particulièrement sur les jantes et rayons chromés qui doivent toujours rester étincellants.
La route des casernes , d’ordinaire si calme , mis à part deux fois par jour , le matin et le soir aux heures de départ et retour des ouvriers de l’Arsenal , elle est alors noyée sous une cohorte de milliers de cyclistes , c’est hallucinant , nous sommes habitués à ne rien perdre de cette incroyable procession laïque…..d’ordinaire si calme , disais-je , et maintenant sillonnée d’une noria de jeeps et camions yankees en tous genres…..malheureusement , tous les marins ne profitent pas de ces transports commodes , leur lieu de mouillage distant de plus de trois kilomètres du centre ville , beaucoup n’ont pour s’y rendre que la solution pédibus.
C’est alors que nous vînt une idée géniale…..nous allons nous poster à proximité des navires et faire du vélo-taxi.
Le résultat est allé au-delà de nos espérances , un succès immédiat , même pas fatigant , contre quelques jolies pièces frappées de l’aigle ou un paquet de cigarettes ou encore du chocolat , l’américain monte sur le vélo , nous derrière sur le porte-bagage , et c’est lui qui pédale jusqu’à la ville….à grands coups de gueules et d’éclats de rires tonitruants , c’est à qui arrivera le premier , leur bonne humeur nous gagne et nous les encourageons à grandes claques dans le dos , gonflés d’importance si par chance nous croisons une copine…
Ensuite , nous faisons le chemin inverse et recommençons.
Après des dizaines de navettes nous avons accumulé un fabuleux trésor que nous nous partageons en fin de journée , je donne les cigarettes à papa et je récupère l’emballage…j’ai décidé de commencer une collection de paquets de cigarettes américaines.
La ville de 35 000 habitants se félicitait tout d’abord de ces 10 000 envahisseurs , on pouvait visiter les bateaux , le WASP ne désemplissait pas , on venait de très loin pour l’occasion , on se photographiait , on testait son anglais , comme aux beaux jours de la libération les filles se jetaient au cou des beaux militaires venus de si loin , les commerçants étaient ravis , surtout les nombreux bistrots , même s’il y eut pas mal d’incidents , le soir les rues semblaient exclusivement peuplées de viande saoule , le whisky avait été avantageusement remplacé par les tord-boyaux locaux , certains bars étaient le théâtre de véritables rixes de saloon dignes des meilleurs westerns , médusés on voyait arriver la jeep des MP suivie d’un camion bâché…..la police militaire armée de longues matraques se jetait dans la bataille et distribuait à gauche et à droite des coups d’une violence inouïe….elle ramassait ensuite les corps étendus ensanglantés pour les jeter sans ménagement à l’arrière du camion , comme de vulgaires paquets de linge sale.
Comme ils étaient venus…ils sont repartis , nous avons retrouvé nos marques comme s’il ne s’était rien passé , la vie reprit son cours normal….parfois , de plus en plus rarement à mesure que le temps s’écoulait , on se laissait aller d’un :
« Tu t’ rappelles les ricains.. ??? »
Tags : d’un, c’est, militaire, route, grands
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