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Rue de la Plaine.....
Au printemps 70 ,
j’emménage dans mon premier véritable appartement ,
un immeuble récent près de la place de la Nation dans le XXème ,
au dessus du magasin Inno.L’entrée se situe au début de la rue de la Plaine ,
une façade vitrée ouvre sur un gigantesque escalier de bois blond
qui mène à l’entresol et sa batterie d’ascenseurs…..
deux voyages ont suffit à l’aimable assistance motorisée d’un collègue de travail
pour transporter les rares valises et paquets constituant l’ensemble de mes biens
de la rue Chabanais à l’est parisien ,
lesquels gisent maintenant en vrac sur la moquette grise de l’unique pièce du studioau 9ème et dernier étage du bâtiment.
Quarante mètres carrés ,
un petit réduit sur la gauche fermé par une penderie constituée d’éléments
de Meccano métalliques vert bouteille abandonnés par le précédent occupant.Une fenêtre coulissante sur toute la largeur , la pièce principale ,
d’autant plus vaste qu’elle est entièrement vide , hormis les paquets entassés au milieu ,
éclairée d’une vaste baie vitrée ouvrant sur un balcon ceinturant tout le studio
à l’ouest d’un coté , au nord de l’autre et sur un panorama extraordinaire
sur les toits de Paris jusqu’à la colline de Suresnes à l’horizon ,
sans rien pour stopper le regard .
Sur la droite un autre renfoncement destiné sans doute à servir de chambre à coucher ,
une grande ouverture sur l’extérieur de la taille de celle du réduit .
Près de l’entrée , une porte pour les toilettes , à côté une autre pour la salle de bain ,
et perpendiculaire , une troisième pour la cuisine dominant au-delà du balcon ,
la rue de la Plaine et une école de briques rouges.J’allais passer là un peu plus de deux années magiques
dont le souvenir me revient en cascade d’images flamboyantes.J’avais depuis peu mon premier emploi ,
mes premiers salaires de plus en plus confortables ,
les moyens de vivre sans pratiquement plus rien me refuser ,
fruit d’un travail que je ne considérais pas comme tel tant il me permettait enfin
de laisser libre court à ma passion couronnée depuis 67 par mon diplôme des Arts Déco.Je commençais une vie nouvelle , tout devenait possible…
Il y eût d’abord l’achat des meuble , de la chaîne stéréo ,
de la première voiture (une coccinelle Volkswagen blanche ) des fringues coûteuses ,
des bons restaurants , de tout ce dont j’avais appris à me passer jusqu’alors
sans vraiment m’en sentir privé.Je me souviens de soirées interminables entre amis ,
passées à boire , à rire , à danser , la musique à fond , à guetter le jour se lever sur la capitale ,
à mettre à plein tube le Gloria de Vivaldi
dès que le ciel commençait à prendre des teintes rosées
repoussant celles bleu sombre de la nuit au-delà du bois de Boulogne…Je me souviens des soirs d’orages ,
quand l’immensité du ciel se couvre de noir ,
quand les éclairs zèbrent l’obscurité avant de se perdre quelque part
sur les toits de zinc luisants dans une constellation de petites lumières vacillantes
alors que la pluie et le vent se déchaînent...
me donnant l’impression d’habiter le sommet d’un phare perdu et fragile
sous les assauts de la tempête…..
spectacle grandiose derrière la frêle barrière des vitres dégoulinantes
secouées brutalement d’inquiétantes vibrations…Je me souviens des quatorze juillets ,
tandis que les militaires défilent sur l’écran de la télévision ,
voir arriver de très loin les escadrilles d’avions et d’hélicoptères
derrière la Patrouille de France et son panache de fumée tricolore qui s’effiloche
au-dessus de Paris avant de passer dans un vacarme d’enfer à quelques mètres de ma tête…Je me revois chaque matin au petit déjeuner ,
assis à table avant de partir pour Neuilly , regardant par-dessus le bord de mon bol de café
la progression de la future Tour Montparnasse un peu plus haute de jour en jour..Je me souviens des soirs d’été ,
des soirs de grande chaleur , dîner derrière une petite table de camping
dressée au nord sur le balcon , sous la fenêtre de la cuisine ,
à l’affût du moindre souffle d’air frais , l’oreille bercée par le bruit sourd des voitures
sous les colonnes de la grande place voisine ou sur le long cours de Vincennes..Ou encore de ce jour où mon père vint me rendre visite
refusant de quitter le centre de la pièce pour s’approcher de la rambarde surplombant le vide ,
m’avouant alors une chose que je n’avais jamais soupçonnée….
il était sujet au vertige , je me demande si aujourd’hui encore ,
je ne suis pas le seul à connaître ce secret…Point d’ancrage de tant de bons moments ,
je regrette encore parfois d’avoir été contraint de quitter cet endroit ,
peut-être aurai-je dû l’acheter quand les propriétaires l’ont mis en vente ,
mais ce n’était pas dans ma manière d’envisager les choses à l’époque….
j’avais trop foi en l’avenir pour goûter le présent ou le juste passé
avec la lucidité et la gourmandise que seul le recul du temps me permet d’apprécier
et de prendre conscience avec un rien d’amertume…..
Tags : d’un, dernier, souviens, rue, petit
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Commentaires
Autre époque ! ...où le futur ne pouvait etre qu'un grand mieux du présent ...
Heureusement que tu es là pour nous la raconter , nous la rappeler et , éventuellement , la faire connaitre à qui ne l' a pas connue ...
1 - Se pencher sur son passé Malou....tant qu'on le peut encore.......sans risquer le lumbago....
2 - Quand le futur ne tient pas ses promesses Chris......il peut être indispensable d'avoir un bon passé....
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Un joli regard sur ton passé et sur cette belle ville qu'est Paris... surtout de ton "phare" et la photo donne bien le ton.