Dix fois….cent fois…mille fois….

je ne saurais dire…

tant la vision de cet espace privilégié hante depuis si longtemps  les méandres de ma mémoire…

depuis ma plus tendre enfance où je ne comptais pas les coups de pédales ni les kilomètres à vélo pour venir m’en repaître…
jusqu’aux jours d’aujourd’hui où je ne me lasse toujours  pas du même spectacle…
immuable mais toujours recommencé….

toujours le même , et cependant  toujours autre…
un sentiment d’intemporel..
avec une infinité de différences subtiles perceptibles ou pas

que je me plais à détailler pendant des heures…

Splendeur mouvante et scintillante que je mitraille de mon objectif avec désespérance…
un profond sentiment d’impuissance à saisir  et à traduire 
l’ineffable beauté qui imprime ma rétine jusqu’aux tréfonds  de ma subconscience…

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec l’obsession d’un Monet à peindre et repeindre  sans relâche le même portail de la cathédrale de Rouen ou les nymphéas de son jardin de Giverny à la poursuite de l’impossible…

saisir l’insaisissable…un reflet…une  lumière fugitive…une nuance subtile que personne d’autre ne peut voir comme soi-même..au point qu’on en vient à douter de sa réalité…comme si une part de rêve venait s’y additionner…sans doute la même angoisse a t’elle saisi Hokusai et ses cent représentations du mont Fuji  ou Cézanne et sa montagne Sainte Victoire…

Il me vient à l’esprit l’aphorisme chinois :

 « Quant le sage montre la lune , l’imbécile regarde le doigt « ……

et si le doigt c’était tout simplement une photographie , une toile…un texte..ou une musique… ??

Monsieur…..j’ai faim……. »

Toute la détresse et la honte du monde dans les yeux de celui qui vient de m’interpeller….
la main tendue comme à regret….l’humiliation jusqu’au bout des doigts….
ce n’est pas un habitué…tenue correcte…propre….monsieur tout le monde…
comme on en croise des centaines tous les jours…
ça pourrait être vous….ça pourrait être moi…..
rien à voir avec l’idée que l’on peut se faire du SDF ou du clochard….
peut être le dixième depuis que j’ai refait surface à la station Saint-Michel Notre Dame…
soleil lumineux….les grandes eaux de la fontaine….
animation multicolore d’un jeudi matin  au quartier latin…le ballet des voitures….la vie…..j’ai peur….

Réédition...

D’abord , les rieuses vont se taire…

Leur stridence va faire place au silence…
elles vont cesser leur ballet à contre vent et rase-écume
pour piquer à tire d’aile vers la terre
et se perdre quelque part dans la lande au-delà des dunes..

Les nuées vont se faire lourdes…
les rais de flamboyance plus rares , sur la surface étale aux reflets métalliques
et menaçants d’un katana Samouraï…
Le ponant va s’obscurcir….
le feu couchant devenir cendre
pour plomber l’horizon d’un ardoise uniforme zébré par instant de brèves et fulgurantes striures…

Le temps retient son souffle ..
pas un frémissement dans les oyats….
l’estran prend une teinte cuivrée , frangée de la pâleur d’un imperceptible ressac…

J’attends…

J’attends la fureur qui va monter à l’assaut de mes restes…
j’attends le feu céleste  et l’implacable noroît qui va disloquer un peu plus ma coque vermoulue…..
j’attends la tempête de sable qui va véroler un peu plus de ses milliards de grains mes planches à l’agonie…
j’attends le déluge biblique qui va m’enliser pour toujours dans mon linceul de vase…
j’attends le tsunami qui va gommer jusqu’à mon souvenir….

J’attends….
sans crainte….sans pleur sinon sans reproche ,
l’improbable et ultime escale au long d’un quai qui n’existe pas…..

Une heure du matin…
un souffle irrégulier qui nous réveille….
une respiration sifflante qui nous affole…
Le vétérinaire que l’on guette par la fenêtre grande ouverte
sur la chaleur de la nuit..

Deux heure du matin….
le hochement significatif de la jeune femme
qui promène son stéthoscope sur le petit corps alangui….
les piqûres pour nous rassurer….
les grands yeux inquiets qui me fixent éperdus….

Trois heure du matin….
la course folle sur les routes désertes du Val d’Oise
vers le service d’urgence
de la clinique de l’Isle Adam…

Quatre heure du matin….
elle quitte nos bras…pour être placée sous assistance respiratoire…

Huit heure du matin….
le téléphone…..
elle vient de sombrer dans le coma…

Neuf heure du matin………………….
elle nous a quittés……pour toujours..

Je lis fréquemment
les critiques des derniers bouquins sortis....
J'avoue que la plupart du temps pour ne pas dire tout le temps ,
ma curiosité ne me pousse pas plus loin...

et j'en reste là...
sur l'avis de quelqu'un qui n 'aura pas su me convaincre de passer à l'acte...

Marc Lambron
aura réussi l'exploit...dans les pages Culture du "Point" ,
me parler d'un livre que je vais courir acheter...

pour une seule citation....

« Son regard part vers l'horizon d'un pays de l'absence , elle devient une image ,
un pastel , elle n'habite presque plus l'atmosphère... »

« Le pays de l'absence » de Christine Orban (Albin Michel)

 Lisa Gongor - Old Love