• Tout sur Bottle...

     

     

    1974

     

    Moiteur de ma dernière journée Indienne..

     

    Touffeur d’une fin d’après midi de septembre
    dans la cacophonie grouillante et bariolée de New Delhi….

    A traîner dans la poussière mouvante de Connaught Place ,
    le rendez-vous de tous les paumés venus d’ailleurs en quête d’exotisme
    ou d’un hypothétique nirvana…....
    lieu de rencontre des routards du monde entier ,
    c’est là que tout commence…..c’est là que tout se termine….
    j’erre le nez au vent pour m’imprégner une dernière fois et pour toujours
    d’une ambiance qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir..

     

    Au hasard de ma déambulation mes pas me conduisent
    sous le semblant de fraîcheur des arcades d’une avenue voisine….
    je tombe en arrêt devant la vitrine d’une boutique au charme victorien……
    RIKHI RAM  en onciales jaunes peintes au-dessus de la porte…..
    derrière la vitre au milieu d’un fouillis d’instruments de musiques locaux ,
    une grande photo des Beatles en compagnie de Ravi Shankar...…
    je comprend qu’elle a été prise en ce même endroit….
    et que ce magasin  eut le grand privilège de superviser leur période Indienne..…

     

    Je pousse la porte…et pénètre la pénombre feutrée
    en contraste total avec l’aveuglant raffut du dehors….
    au fur et à mesure que mes yeux s’habituent à la semi obscurité
    je distingue graduellement sous d’autres agrandissements
    de George Harrison et John Lennon 
    des rangées de Sitars magnifiques…immenses…délicatement ciselés ,
    marquetés de dentelle nacrée…du grand art……
    il m’en faut un...…je ne pense pas un instant au problème de voyager
    avec un pareil objet…...je ne résiste pas à l’impulsion…..
    je caresse le bois verni…je passe les doigts sur les cordes
    pour sentir les vibrations…...je me laisse séduire
    par celui qui me semble le plus beau…...
    je l’imagine trônant dans mon living parisien...
    tout à ma fascination je n’ai pas pris conscience immédiatement
    d’une présence silencieuse auprès de moi…..un indien que je pense vendeur
    en costume de soie vive me prend doucement des mains
    l’objet de mon émerveillement….
    il en tire du bout des ongles un son étrange et envoûtant….
    le remet en place….reprend le manège avec un second…puis un troisième…
    un quatrième qu’il fait résonner tout contre son oreille…...
    il pose sur moi son regard ténébreux….

     

    -          prenez celui-ci , Monsieur , c’est le meilleur –

    -           

    Subjugué , je me range à son choix sans discuter…..
    il m’accompagne auprès du maître des lieux qui le glisse dans une housse
    de toile bariolée…..
    tandis que je paie mon acquisition il me tend un rectangle cartonné
    en me disant…..

     

    - Si vous aimez la musique de mon pays…il ne faut pas rater le concert de ce soir.. »

     

    Je jette un rapide coup d’œil sur l’invitation , le remercie ,
    la glisse dans ma poche et tandis qu’il me tient la porte ouverte ,
    me replonge au coeur de la fournaise , mon imposant paquet dans les bras….

     

    Il fait nuit…je termine mon dernier tandoori sur le sol Indien…..
    demain à cette même heure je volerai vers Paris…..
    je plonge une main dans la poche de ma chemise pour régler l’addition…
    je sors le carton du vendeur de sitar avec mon portefeuille…..

    Je ne comprend rien de ce qui est inscrit….
    je le montre au patron du restaurant qui à force sourires et courbettes
    m’indique le chemin à suivre pour me rendre au concert…....
    ce n’est pas très loin…....

    Quelques minutes de marche et je débouche sur une place
    devant la façade illuminée de ce qui ressemble à un théâtre… ..
    une foule blanche très nombreuse se presse sur les marches
    qui conduisent à l’entrée….une énorme affiche au-dessus…..
    je reconnais sur l’image mon vendeur qui me sourit…….

     

     » Grande soirée exceptionnelle…ce soir pour une unique représentation…
    la star internationale du Raga….PRAMOD KUMAR…."






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    Passage à l’heure d’été….

    Toute la promesse de lendemains radieux dans cette formule toute simple empreinte de fol espoir….comment y croire quand il faut à nouveau s’arracher au sommeil et à la douce chaleur de la couette en pleine nuit , avaler maussade mal réveillé et en vitesse un café qui peine à réchauffer les doigts qui serrent le bol dans la pénombre hivernale….sortir dans la froide obscurité  et gratter la glace sur le pare-brise comme aux pires moment de l’heure d’hiver……il faudra qu’un jour quelqu’un m’explique l’intérêt que l’on peut tirer à jouer avec le temps et le métabolisme de populations humaines ou animales en perte de repères deux fois par an….et si l’on laissait le soleil régler notre rythme de vie plutôt que de perpétuer ad vitam aeternam les délires farfelus d’énarques inconnus et oubliés en quête de notoriété et de  nouvelles nuisances…..

     

     


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    1962…………………

     

    Je manque d’argent……..
    Mes parents font ce qu’ils peuvent , mais ça me donne mauvaise conscience , je ne peux ignorer que les sacrifices qu’ils consentent à mon seul bénéfice se font au détriment du légitime nécessaire auquel le reste de la famille est en droit d’aspirer .

     

    J’ai rempli des papiers pour obtenir une Bourse d’études ,
    j’ai déposé mon dossier au secrétariat de l’école et j’attend la réponse , pour l’instant , j’en suis réduit à me servir dans le matériel de camarades plus fortunés et complaisants….
    quand il me prend l’envie ou plus exactement l’irrépressible besoin d’exprimer mes états d’âme sur papier à dessin dans la glaciale ambiance , en cette fin d’automne , de ma mansarde sans chauffage , je n’ai d’autre solution qu’utiliser ce qui me tombe sous la main pour donner des couleurs à mes fantasmes…..tout est bon pour y parvenir…..café soluble , chocolat en poudre , sachets de thé , récupérés je ne sais où , tabac macéré , vin rouge ou jaune d’œuf….je me défoule allègrement au mélange douteux de tous ces ingrédients pour un résultat surprenant et plein d'étonnantes nuances qui ne doivent rien à la tès onéreuse boutique des Beaux-Arts …..la nécessité au service de l’imagination , je deviens par la force des choses , un spécialiste dans le recyclage artistique des fonds de poubelles.

     

    J’aime bien rire et faire rire, avec de l’humour l’insupportable l’est beaucoup moins et un bon mot laisse souvent plus de trace qu’une bonne action , je dessine comme je respire , il m’est donc naturellement apparu d’une lumineuse évidence que le mariage de l’aisance graphique et du comique pouvait rapidement et à peu de frais m’apporter un lucratif moyen d’existence.

    Sans plus attendre , je me met au travail et dans la même soirée je griffonne quinze dessins désopilants dont cinq inspirés de l’actualité politique. Il ne me reste plus qu’à les soumettre à l’avis de spécialistes.


    Le lendemain aux aurores , je me précipite au kiosque à journaux de la place du Palais Royal et relève les adresses des hebdomadaires étagés sur le présentoir , sourd aux protestations du locataire des lieux qui me fait vertement remarquer , furibard et à juste titre , qu’il ne fallait pas prendre son bout de trottoir pour un salon de lecture et qu’il fallait payer pour voir.

    L’après-midi même , mon carton sous le bras , j’entreprend ma tournée , par chance la plupart des adresses ne sortent pas du périmètre de mon quartier , je peux aisément toutes les faire à pied.
    Invariablement , je sonne aux portes et demande , plein de candeur naïve , à voir le Rédacteur en Chef…..à ma grande surprise , pratiquement partout et sans préalable , on accède à ma demande avec une surprenante facilité .

    A la fin de la journée , j’avais rencontré beaucoup de Messieurs très importants qui m’avaient écouté et regardé mes dessins , pleins d’une bienveillance amusée . A l’exception du Canard Enchaîné où les dessinateurs dataient de la fondation du journal et interdisaient leur porte à la génération montante , partout , d’Ici Paris , Aux Ecoutes , Lui , en passant par Les Echos ou l’Os à Moelle , j’ai été reçu à bras ouverts , non seulement mes dessins avaient plu , mais j’en avais vendu la plus grande partie et tous m’ont demandé de venir régulièrement leur en présenter de nouveaux au jour prévu dans la semaine pour la réception des dessinateurs.

    J’ai donc pris l’habitude plusieurs fois par mois de faire antichambre en compagnie de célébrités comme Reiser , Cardon , Nitka et autres , d’un journal au suivant pour placer ma production.

    J’étais le plus jeune , à tout juste dix-neuf ans je n’avais pas le droit d’avoir un compte en Banque , et pour chaque dessin vendu , je devais me présenter à la caisse pour me faire payer en liquide.
    Je suis tout de suite devenu copain avec la joyeuse bande de mes nouveaux collègues humoristes , entre deux canards , nous faisions halte au bistrot…et l’ambiance était loin d’être triste…….

     

     

     

     


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