....ce serait sur la voix de Randy Crawford...

“Why live life from dream to dream
And dread the day that dreaming ends…”

…….seulement jusqu’en septembre….pour l’instant….

D'abord il avait fallu se lever très tôt ,

dans le petit matin glacial prendre au départ de Cuzco

l'antique train à crémaillère qui nous mènerait au pied de la montagne...

ensuite , enveloppés dans nos ponchos à grelotter sans parvenir à se réchauffer ,

gravir quelques kilomètres sur un chemin pierreux à flanc de versant ,

trimballés comme des ballots à l'arrière d'un camion rouillé

probablement échappé d'une quelconque casse Péruvienne.....

déposés en fin de route , au bout de nulle part ,

restait à escalader le sentier abrupt et sinueux qui verrait la récompense de nos efforts.....

A mesure de progression , l'antique cité émergeait de la brume ,

en sueur et le souffle court le froid était oublié....

un étrange silence ...troublé seulement par nos pas sur les pierres branlantes …

un silence humide au parfum de mousse et de lichen …

j'étais sur le point de découvrir le plus envoûtant des sites qu'il m'est été donné de voir …

je savais déjà que pour le reste de ma vie

il figurerait aux premières places du hit-parade de mes souvenirs....

Eté 1972…

La pluie…

averses incessantes…

rideau liquide crépitant sur l’inextricable frondaison

de la jungle Laotienne…

la pluie de mousson…

douche tiède qui ne laisse que peu de répit…

qui vous enlève toute chance de sécher

et vous cantonne dans un univers moite

aux relents de pourriture et de végétation décomposée….

Luang Prabang …

la cité royale , la ville au 65 pagodes …

noyée sous le déluge de cet été 72 ;

désertée de sa population fuyant une autre mitraille ,

un autre déluge…de feu celui là…..

encore tenue par une poignée de soldats loyalistes Hmongs de Xieng Khouang…

cernée par le Pathet Lao et le Vietminh….

étrange ambiance…

étrange cohabitation avec ces petits hommes verts armés jusqu’aux dents

qui nous regardent avec un ahurissement incrédule , 

photographier sous l’illusoire protection de nos K-ways

des merveilles d’architectures ou de sculptures

qu’on ne leur a sans doute jamais appris à voir…

surréalisme de notre situation qui nous pousse à bénir cette avalanche céleste

qui nous permet , l’espace d’une courte trêve ,

de nous évader de la sécurité de l’hôtel et de ses interminables partie de cartes

avec des journalistes des quatre coins du globe

coincés comme nous entre l’eau et le feu…

bienheureuse inconscience de notre jeunesse

qui nous promène sur un champ de bataille

avec l’inébranlable conviction

d’être à l’abri des obus sous la protection bienveillante

des Dieux de l’ART…

J’ai faim…..

dixième jour de mon périple en Inde et mon estomac refuse toujours ce que je lui propose.

A part les chapatis , sorte de galettes de farine de blé qui tient lieu de pain , je ne peux rien avaler…tout baigne dans le piment.....le feu de l’enfer à la moindre bouchée…je ne fais pas confiance aux légumes frais…il court chez les routards des bruits de tourista , de dysenterie amibienne , de choléra ou autre bilharziose , malgré les médicaments préventifs et les vaccins je me méfie…je ne suis pas tranquille…le problème nourriture m'obsède et n’est pas encore résolu à l’heure où je déambule dans les ruelles grouillantes de vies, d'explosions de couleurs , de senteurs multiples ,  de lumières magiques ... Varanasi la sainte….Bénarès…la ville aux millions de pèlerins , venus de tous les coins du pays pour se plonger dans le fleuve sacré.

Je me fraie difficilement un passage dans la foule bariolée…je ne suis plus très loin  des ghats , ces escaliers qui longent le Gange ,  où l’on vient pour prier , se purifier et mille autres choses plus ou moins liées à la religion….Une odeur vient me chatouiller les narines…de plus en plus précise…un fumet qui me rappelle quelque chose…le même que celui qui flotte autour des pavillons de nos banlieues les beaux week-ends d’été….barbecue….c’est çà…la viande grillée…j’ai faim…gargouillis incontrôlés …je presse le pas

Photo Bénarès 74

C'est l'été 74 ,

la tête encore pleine des mélodies envoûtantes de George Harrison ,

je suis parti en Inde sur les traces des Beatles ...

...Je me perd dans les ruelles du vieux Delhi ,

je balade mon objectif dans les ashrams qu'ils auraient pu visiter ,

je traque les visages mystérieux de gurus ou saddhus qu'il auraient pu rencontrer ...

je m'égare dans les parfums d'encens et les rythmes obsédants

de ragas lancinants qu'ils auraient pu entendre ....

.......irrépressible désir de s'asseoir là , ...

ne plus bouger ....

se laisser prendre par l'esprit dans un voyage sans fin...