• Tout sur Bottle...

     

    Je n’ai pas encore atteint ma 19ème année…

     

    J’habite sous les toits , une chambre de service rue Vivienne ,
    j’ai pour jardin le Palais royal et le Louvre à un jet de pierre pour galerie promenade….

     

    Parfaite et heureuse inconscience des moments que je vis…

    Rien d’exceptionnel d’avoir froid
    sous ma tabatière constellée de fiente pigeonnesque
    quand il gèle à pierre fendre et rien pour me chauffer…
    j’ai mes habitudes au bistrot du coin
    et la compagnie des plus grands peintres que je fréquente à loisir
    et gratuitement depuis la rentrée , 
    dans la douce chaleur des salles du musée….

    Normal de m’asseoir aux beaux jours
    aux bords du grand bassin dans le jardin voisin…
    à promener mon regard à l’entours
    au long des colonnades chargées d’histoire ,
    avec les rires et cris d'enfants en fond sonore ,
    sur les genoux un livre que je ne lis pas..

     

    Rien d’extravagant à monter le samedi soir sur la butte Montmartre
    avec Christian , mon copain de Marseille ,
    pour essayer de gagner quelques sous en croquant Place du Tertre
    les tronches épanouies de touristes en goguette…

     

    Quotidien et banal de courir chaque matin , mon carton à dessin sous le bras,
    derrière le bus à plate-forme qui vient de démarrer…
    le contrôleur qui décroche la chaîne de sécurité…
    qui m’attrape le bras et me hisse à ses côtés…sa casquette en arrière ,
    la moustache en bataille , sa boîte à composter attachée sur le ventre….
     
    »Alors le dessineux….. !!!!..c’était ric-rac aujourd’hui.. !!!!!! »…..

    Respirer la montée du printemps
    en longeant les arbres du bord de Seine appuyé à la rambarde du vieux bus….
    remonter lentement le Boulevard Saint-Michel  en direction du Luxembourg….
    finir à pied…rue Soufflot…le Panthéon…rue D’Ulm….....

     

    Je n’ai pas encore 19 ans…le monde m’appartient…

     

     

     

     

     


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  • Tout sur Bottle...

    D’abord me revient le ciel……

     

    D’un noir d’encre velouté ,

    piqué de millions d’étoiles vibrantes dans la nuit limpide…

    Il ne fait pas froid du tout...…

    pourtant je suis emmitouflé de pied en cap …
    comme un trappeur du grand nord...…

    Comme ma grand-mère qui me traîne par la main
    engoncée dans son long manteau d’hiver ,
    son chapeau de feutre vissé sur son chignon...…

    Comme ma petite sœur empoignée de l’autre côté ,
    qui trottine à petits pas sautillants ,
    écharpe et bonnet de laine au ras des yeux….

     

    Ensuite me reviennent les odeurs....…

    de terreau mouillé...…

    de feuilles mortes en décomposition...….

    des odeurs humides de fin d’automne rural...…

    et puis le silence immobile....….

    un grand silence qui enveloppe le tout ,
    nimbant l’instant d’un calme apaisé...…
    j’ai six ou sept ans….
    et  l’impression d’évoluer dans un décor irréel
    où le mystère se mélange au sacré....…le merveilleux à l’étrange…

     

    Tout à l’heure nous avons laissé Maman et Papa
    auprès du sapin multicolore…...
    la table débarrassée  de la vaisselle du repas ,
    les dernières miettes balayées de la nappe du Dimanche ,
    ne subsiste qu’une assiette garnie de pain de fromage et de saucisson
    ainsi qu’un verre de bon vin pour le visiteur tant espéré
    et une autre avec des carottes et de la salade pour les rennes de son traîneau…..
    Grand-mère a la délicate mission de nous amener à la messe de minuit
    où je compte prier très fort pour que mon chez moi
    ne soit pas oublié dans la grande distribution…

     

    Nous suivons la rue déserte des casernes en direction de la Saline ,
    sur notre gauche les fortifications avec ses bosquets et taillis noyés dans l’ombre
    et ses grands arbres fantomatiques qui me font serrer d’avantage
    la main de mémé dans un délicieux frisson de crainte inavouée….
    sur notre droite une succession de casernes…
    éclairées de loin en loin par la pâle lumière jaune d’un lampadaire…..
    une succession de guérites avec leur factionnaire en armes
    qui nous regarde passer d’un œil endormi…

     

    Nous franchissons le portail du quartier Rochambeau…..
    au fond de la grande cour le réfectoire est brillamment  éclairé….
    les fenêtres sont cernées de guirlandes d’or et d’argent
    décorées de dessins naïfs en papier découpé….
    transformé en chapelle pour un soir , c’est là que l’aumônier officie….

    nous entrons le plus discrètement possible
    pour nous glisser au dernier rang derrière une foule de dos en uniforme…....

    tandis que quelque part , venue d'on ne sait où ,
    une voix de Stentor , belle , grave , puissante ,
    entonne dans le silence recueilli le chant de circonstance …..

    » Minuit chrétiens…c’est l’heure solennelle….. »

     

     

     

     

     

     

     

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  • Si j'étais...

     


    M
    onsieur Ferrieux

    passe la porte que maman lui ouvre toute grande ,

    gras et transpirant les trois étages péniblement gravis ,
    un lourd carton de provisions serré sur sa bedaine 
    dissimulant aux trois quarts sa bonne bouille rubiconde .

    Soufflant à rendre l'âme ,
    il laisse tomber son fardeau sur la toile cirée de la table
    préalablement débarrassée de tout obstacle ,
    avant de s'écrouler de tout son poids
    sur la chaise que maman lui glisse prestement sous son énorme postérieur .

    Dans un râle d'agonisant ,
    il sort un large mouchoir à carreaux d'une poche de sa blouse grise
    et entreprend de s'éponger à deux mains ,
    incapable d'articuler autre chose qu'un chuintement de locomotive à vapeur en fin de course. .

    Peu à peu , il reprend vie ,
    son souffle un semblant de régularité ,
    il replie soigneusement son carré d'étoffe douteux ,
    promène à la ronde un regard bovin et dans un grand sourire bonhomme il parle enfin :

    C'est toujours aussi haut chez vous ma p'tite dame !
    Cà va ti comme vous voulez d'puis la dernière fois ???.


    Monsieur Ferrieux c'est l'épicier de la rue de l'Union ,
    il nous livre tous les samedis , à bord de sa fourgonnette Citroën , le ravitaillement de la semaine ,
    suivant une liste que maman lui a préparée en détail au préalable.. .
    Sans plus attendre , nous nous jetons tels des morts-de-faim sur la précieuse cargaison
    sous l'œil débonnaire du gros homme et la molle sévérité des protestations maternelles .

    Une à une nous sortons les victuailles multicolores
    à la recherche d'improbables friandises peut-être ,
    mais plus sûrement en quête de ce que nous attendons huit jours durant ,
    les cadeaux-réclames ,
    aujourd'hui on dirait les objets de promotion publicitaire ....
     images d'Epinal désuètes du chocolat Poulain ou autre ,
     illustrant les chansonnettes à la mode ,
    ou soldats de l'armée Napoléonienne en grand uniforme ,
    que nous collectionnons soigneusement ,
    collées à leur place dans leurs albums respectifs à l'effigie des grandes marques généreuses ....
    cahiers , protège-cahiers Amora ( la grande moutarde )
    avec tables des multiplications et divisions au verso ,
    gommes , buvards , crayons et taille-crayons au moment de la rentrée des classes ....
    billes , figurines de plastique , petites voitures , visières ou autres toute l'année .
    Trésors que l'on se dispute , que l'on se chipe , que l'on se cache ,
    que l'on s'échange avec des mines de conspirateurs dans la cour de récré .
    Fébrilement  , nous déchirons les papiers argentés des tablettes de chocolat ,
    ouvrons les boites de Guigoz  ou de Banania ,
    plongeons les mains dans la lessive en poudre , ivres de joie à chaque découverte ,
    divines surprises ponctuées de rires de pleurs et de cris ....
    fabuleux moments de bonheur
    qui cinquante ans plus tard
    me font souvenir avec tendresse de Monsieur Ferrieux .

     

     

     


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  • Si j'étais...

     

    « Qu'est-ce qui m'a foutu un pareil pot d'tabac....t'as l'air d'un lolosse !!! »

     


    Papa a raison ,

    cela va bientôt faire une semaine que je n'ai pas rendu visite au coiffeur .
    Il surveille ma progression capillaire avec beaucoup plus d'attention que l'évolution de mon carnet de notes , une certaine forme de déformation professionnelle...il me plaque une main sur la tête , m'emprisonne les mèches entre les doigts , et me fait sentencieusement remarquer que si j'étais l'un de ses matelots , j'aurais droit à une semaine au trou , pas un cheveu ne doit dépasser des phalanges , le règlement c'est le règlement , il n'y a pas à discuter.... exécution !!!

    Mr. Sanchez se retourne au tintement aigrelet de la clochette alors que je pousse la porte vitrée de son salon de la rue Hippolyte de Tocqueville .

    «  Ah c'est toi , assieds-toi , i'en ai pour oune minoute , i'é fini monsieur , et i'é m'occoupe dé toi ! « 

    Mr. Sanchez est un réfugié de la guerre d'Espagne , le visage bronzé sillonné de rides profondes , le cheveu noir lustré de brillantine , une fine moustache à la Errol Flynn , il adore me raconter ses souvenirs même si je ne comprend pas le quart de ce qu'il dit....je l'aime bien , notre rencontre hebdomadaire finit par tisser des liens , il parle sans arrêt , un mégot collé au coin des lèvres , une cigarette neuve coincée derrière l'oreille qui attend que la place se libère , d'une curieuse voix rauque que lui-même attribue à l'excés de tabac .

    Comme d'habitoude ??...C'est çà , comme d'habitoude , une brosse ultra-courte , bien dégagé derrière les oreilles....je déteste çà , j'ai les oreilles décollées , quand je sors de chez lui on les voit encore plus , çà me fiche des complexes , maman m'affirme qu'il n'y a que moi qui le remarque , mais je suis sûr qu'elle ment ou alors elle est aveuglée par son amour maternel .

    C'est vite fait , quelques coups de ciseaux , le cliquetis de la tondeuse glacée qui se promène sur ma nuque , le cylindre de gomina bien gras qu'il me frotte énergiquement du front vers l'arrière du crâne pour maintenir le poil bien dressé , la balayette qui me chatouille le cou pendant qu'il écarte d'un doigt le col de ma chemise , le miroir qu'il promène fièrement de bas en haut et de gauche à droite pour me faire admirer une œuvre que je n'ose pas regarder....il me débarrasse de la blouse à larges manches qu'il secoue consciencieusement sur les gens qui attendent , m'aide à descendre du fauteuil , me brosse partout une dernière fois , m'ouvre la porte...


    «  Tou dira bonïour à ton papa dé ma part ! »

    Je rase les murs , je vois en coin mon reflet dans les vitrines , je me trouve ridicule , j'ai honte , il faut absolument que je demande à maman de m'acheter une casquette...

     


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  • Si j'étais...

    J'ai tapé Google Images...

     

    puis la ville de mon enfance que je reconnais si peu...

    on croit souvent le temps arrêté sur le souvenir des lieux ,

    hélas il n'en n'est rien ,

    ils ont leur vie propres et continuent d' évoluer au fil des années

    pour devenir la nostalgie de quelqu'un d'autre..

     

    J'ai fait défiler les images
    à la recherche de parcelles de passé pas trop altérées ,
    seul le ciel semblait intact sur la plupart des clichés...
    les mêmes nuages lourds aux reflets gris ardoise...
    de ces mêmes ardoises brillantes aux toits de la ville....
    la statue de Napoléon ,
    fidèle au poste au centre d'un environnement qui m'est devenu étranger...
    la basilique Sainte Trinité un peu plus loin
    et des réminiscences de communion solennelle....
    le port de pêche devenu plaisance ...
    je me demande s'il y flotte encore son odeur de marée , de varech et coaltar mêlé...
    le cri déchirant des mouettes au ras d'écume...
    la sirène du pont-tournant.....

     

    Je me suis arrêté sur celle-là.....la digue du Homet....

    une vague d'émotion venue du tréfonds du subconscient...
    le ciel n'était pas bleu ce jour là...
    mais lourd et chargé comme le plus souvent...
    la mer n'était pas étale mais moutonneuse
    ponctuée de petites gerbes mousseuses annonciatrices de gros temps.....

    je chevauche mon randonneur flambant neuf en direction du fort
    à l'extrémité des kilomètres de digue...
    et puis le vent se lève...
    la mer de plus en plus houleuse vient frapper avec violence les rochers en contrebas...
    la lumière décline …..
    les bourrasques de plus en plus violentes menacent de m'envoyer à l'eau ,
    je n'arrive plus à rouler droit , ma machine devient incontrôlable...
    je décide de faire demi-tour...
    je roule au plus près du parapet pour me protéger du vent...
    c'est alors que brutalement les éléments se déchaînent ,
    la pluie torrentielle en mitraille...
    la houle transformée en vagues monstrueuses
    qui s'écrasent contre le granit en explosions d'écume....
    j'ai peur et trouve refuge dans un abri taillé dans le muret...
    j'y glisse mon vélo et ma carcasse trempée...
    assis sur mes talons , grelottant autant de froid que d'angoisse
    je guette l'accalmie à travers les cataractes de cet enfer liquide...
    en écrivant ces lignes ,  
    j'ai encore le goût saumâtre des embruns qui me remonte aux lèvres.....

     

     

     


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