• Tout sur Bottle...

     

    Automne 63 , j'entame ma deuxième année aux Arts Déco ,
    j'y ai peu d'amis , les seuls que je continue de fréquenter assidûment ,
    les anciens de Penninghen , sont tous aux Métiers d'Arts ,
    je vois aussi régulièrement Michèle , une Cherbourgeoise expatriée comme moi
    qui prépare une licence d'Allemand à la Sorbonne ,
    nous prenons plaisir à nous rencontrer pour évoquer des souvenirs communs
    et nous tenir au courant de nos mutuelles aventures ou mésaventures dans la capitale ,
    rien de sentimental dans nos relations , nous sommes simplement d'excellents amis.
    Ce soir c'est le grand Bal annuel des Métiers d'Arts ,
    j'ai invité Michèle à m'y accompagner ,
    elle a accepté avec joie , préférant mille fois notre compagnie de joyeux drilles
    à celle trop austère de ses relations Sorbonnardes .

    Nous avons convenu de nous retrouver à la terrasse du café des Sports ,
    au carrefour de la Croix Rouge , le bal doit se dérouler dans les salons du premier étage
    de l'Ecole de journalisme , place St Germain-des-prés en face de l'église ,
    à deux cent mètres de notre lieu de rendez-vous.
    Je suis en avance , assis devant un café-crème , je regarde amusé défiler
    la faune  hétéroclite et particulière du quartier ,
    absorbé dans mes pensées je ne vois pas tout de suite Michèle plantée devant ma table ,
    elle me donne une tape sur la tête , je sursaute , me lève pour l'embrasser ,
    elle est toute pâle , la mine catastrophée ,
    très loin de l'apparence de quelqu'un qui s'apprête à vivre une soirée de folie.

    Prenant conscience de mon étonnement , elle me dit :

    - Tu ne connais pas la nouvelle ?

    - Non ! quelle nouvelle ??
    - On vient d'assassiner Kennedy !!

     

     

     


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    C'était hier , il y a longtemps et pourtant toujours si présent .
    Quand je vois la folie VTT aujourd'hui , il me revient le plus beau jour de mon enfance...
    ce jour de Noël où trônait sous le sapin le magnifique vélo
    que je passais des heures à détailler dans la vitrine du marchand de cycles voisin de l'école 

    Un randonneur noir et chrome , avec son guidon de course ,
    porte-bagage avant et arrière , huit-vitesses ...un CARRARA ( je suis sûr de la marque ,
    mais pas de l'orthographe ) ...le rêve de ma toute jeune vie ...
    je me suis mis à pleurer comme je ne l'avais jamais fait pendant que mes parents 
    tentaient vainement de me consoler d'un si grand bonheur.

    J'avais une bécane...comme mes copains les plus privilégiés ...
    j'entrais dans un cercle d'initiés , j'allais connaître l'ivresse d'aller plus vite...
    d'aller plus loin ...la rivalité sauvage de la course à l'accessoire...
    qui faisait notre engin encore plus beau... compteur de vitesse...
    fanions...saccoches en cuir ...à une époque où l'on n'envisageait même pas
    de rêver mobylette , vespa ou moto ,
    notre bicyclette nous paraissait la huitième merveille du monde ....
    je me souviens du carton coincé dans les rayons avec une pince à linge
    pour faire un bruit de moteur....des heures passées à la faire briller
    et des étages à la trimbaler sur l'épaule pour qu'elle ne dorme pas dehors.....
    C'est très loin maintenant...mais c'était bien....

     


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    La première fois de quoi.. ???....

     

    Tout a été tellement graduel….chaque étape une victoire…
    chaque degré ,  première fois....premiers frôlements....premier billet doux…
    premier baiser à la dérobade…premier serment d’éternité …premier gros chagrin….
    petits riens d’importance au regard de l’enfant que j’étais.


    C’était avant la mixité….
    les gens de ma génération comprendront l’énorme fossé
    que ce simple détail a creusé entre hier et aujourd’hui...

    Dès le Primaire , il y avait l’Ecole des Garçons…et l’Ecole des Filles….
    souvent voisines mais toujours séparées d’un mur infranchissable…
    les horaires étaient décalés pour éviter les rencontres…..
    on en était réduit à se balancer des messages d’amour anonymes
    froissés autour de pierres qui voltigeaient par-dessus à la récréation….
    à cette époque les murs étaient aussi dans les têtes et les cœurs…

    La ségrégation se poursuivait dans le Supérieur….
    Lycée de Garçons…Collège de Filles…séparés non plus par un mur ,
    mais par quelques pâtés de maison….
    les rencontres inter-sexes n’étaient pas très faciles , les barrières étaient partout ,
    la morale très stricte et l’éducation rigide….étrangement on s’en accommodait ,
    la permissivité n’était pas encore dans l’air du temps ,
    tout le monde était logé à la même enseigne et le plus petit écart
    prenait allure d’exploit et bâtissait les réputations.

    Vers la 15ème année , ce fut les premières « boums »…
    les premiers flirts…les premières cuites…les premiers baisers profonds….
    les premières caresses indiscrètes…tout cela quand même bien innocent
    parce que toujours sévèrement encadré…les signaux d’alarmes
    étaient aussi dans les têtes et paralysaient toute initiative intempestive.

     

    Et puis un jour , j’ai quitté ma province…
    17 ans…je débarque à Paris…le tourbillon…tout était différent…
    je perdais mes marques…mes repères…atelier préparatoire MIXTE …
    filles et garçons mélangés…on se touche…on s’embrasse…on plaisante…
    on flirte…partout…tout le temps…j’ai changé d’époque…de planète…je ne sais plus…
    je rêve.

    Un temps j’ai habité en banlieue , puis j’ai trouvé une chambre derrière le Palais-Royal…
    le temps des copains de galère…les soirées à refaire le monde ,
    au bistrot ou chez l’un ou chez l’autre…
    et puis ce jour où franchissant la porte vitrée de notre bar quartier- général
    je fus stoppé net par deux immenses yeux verts qui me regardaient entrer….
    si le coup de foudre existe , ce devait en être un….
    je n’entendais plus rien ne voyait plus rien sauf ces yeux
    qui avaient emprisonnés les miens…
    dans un état semi comateux je me suis assis en face d’elle
    et nous ne nous sommes plus quittés….

    Longues promenades romantiques main dans la main  sur les quais
    qui finirent par nous amener dans ma chambre sous les toits…..
    elle assise sur le lit….moi qui parle…qui parle….
    elle qui me regarde en souriant…
    elle qui commence à se déshabiller sans me quitter des yeux…
    elle qui m’embrasse pour me faire taire….
    et le temps qui s’arrête….
    et nos corps qui se mélangent.....…pour la première fois..

     

     

     


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    Dans la deuxième moitié des années 70 ,
    nous étions trois amis à avoir largement dépassé la trentaine .
    Je ne sais plus lequel d’entre nous s’est un jour inquiété de notre décrépitude annoncée
    et s’est mis en tête l’idée saugrenue de nous trouver une discipline sportive
    suffisamment rigoureuse pour mettre un terme à un embonpoint naissant
    et éliminer les miasmes d’une vie qui sans être dissolue
    ne reculait devant aucun des plaisirs qui lui étaient généreusement offerts .


    Après moult discussions , notre choix s’est porté sur le vélo….
    nous nous sommes donc rendus illico dans un magasin spécialisé
    de l’avenue de la Grande Armée où nous nous sommes portés acquéreurs
    de trois rutilantes machines qui ne se différenciaient que par la couleur ,
    celle de JF était bleue , V a opté pour une rouge et moi pour une jaune..

     

    C’est ainsi qu’a débuté un véritable calvaire Hebdomadaire….

     

    Chaque dimanche à 6 heure du matin ,
    qu’il pleuve , qu’il vente , qu’il neige , le même cérémonial devenu rituel se répétait….
    c’était d’abord l’interphone qui me tirait de mon sommeil.. 
    » Magne-toi le cul. !!.on t’attend !!! »….
    il ne me restait plus qu 'à charger ma machine sur la galerie de la voiture
    auprès des deux autres et cap sur la campagne ,
    jamais la même mais toujours à un minimum d’une heure d’autoroute.


    On s’arrêtait dans un coin tranquille…
    toujours à proximité d’une excellente auberge relevée dans le Guide Michelin
    et  c’était parti pour un circuit de 5 heures ,
    à pédaler comme des malades , qui nous ramenait à notre point de départ ,
    l’appétit ouvert en grand , pile pour l’apéro et le gueuleton trois étoiles .

     

    Aucun de nous ne voulait être le premier à mettre un terme à cette habitude
    qui tournait à l'obsessionnel ….
    c’est alors qu’à force de sillonner  routes départementales et chemins vicinaux
    ourlés de petits joyaux d’architecture ,
    me vint l’idée de me chercher une maison de campagne….
    contre toute attente , mon projet a emballé les deux autres ,
    et nos ballades ont pris une toute autre dimension….
    dénicher la perle rare…..l’affaire du siècle…le point de chute de nos  Week-ends…


    Nous avons fini par la trouver…un jour de mai 78…
    alors que notre randonnée hebdomadaire nous avait amenés à Chablis…..
    une petite vallée à quelques encablures de Tonnerre….
    un village oublié niché autour de son église , de son château , de son lavoir du 15ème siècle ,….

    Un coup de foudre pour une bâtisse abandonnée derrière une grille rouillée…
    un panneau A VENDRE……

     

    Fini le vélo…
    bonjour la perceuse , la ponceuse , la bétonneuse , la décapeuse , la défricheuse…
    nous sommes devenus des adeptes des grandes surfaces de bricolage
    et autre matériaux de construction et il en a coulé de l’eau sous les ponts
    avant que l’on y vienne pour se reposer et pas pour repartir plus crevés qu’à l’arrivée….
    mais ça en valait la peine…..
    même si ça nous mettait la bouffée d’oxygène à 180 kms…porte à porte....

     






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    1964

     

    Fin de nuit et premières lueurs de l’aube ,

    nous avons quitté une soirée ennuyeuse pour finir de se saouler
    dans un bar de la rue des prostituées de Brême , le seul encore ouvert…
    une clientèle de filles fatiguées et de noctambules en quête d’affection…
    les Sinalco-Korn succédant aux Schnaps , je ne sais plus ni qui je suis ni où je suis .

    Andreas salue à la ronde et m’entraîne vers sa voiture en titubant ,
    difficile de dire lequel soutient l’autre .
    Je m’affale sur le siège et me laisse aller contre la portière dans un état semi-comateux ,
    tandis qu’il met le moteur en route je sombre doucement dans l’inconscience.

    Le froid me réveille , ma portière est ouverte et Andreas me tire à l’extérieur ,
    je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où nous nous trouvons ,
    c’est d’ailleurs le cadet de mes soucis , la seule chose dont je suis sûr ,
    c’est qu’il ne nous a pas ramené à la maison….
    pourtant à ce moment précis , je n’aspire qu’à m’écrouler sur un bon lit
    et qu’on me laisse cuver tranquillement.

     

    Nous avançons cahin-caha
    dans un vaste espace dégagé entouré d’arbres , sans constructions ,
    vers une forme blanchâtre qui se découpe en silhouette fantasmagorique
    dans la pâle lueur brumeuse du petit matin.

    Je claque des dents , j’ai froid et ne me sens pas bien ,
    je me demande si je rêve ou suis éveillé tandis qu’Andreas fait glisser le cockpit vitré
    de ce qui me semble être un avion , il me pousse à l’intérieur
    et entreprend de m’attacher au fauteuil à l’aide de sangles qui pendent un peu partout .
    Je ne comprend pas , je ne comprend rien , je me laisse faire ,
    c’est plus facile que de protester , d’ailleurs tout m’est égal,
    je ne suis même pas sûr d’être là en ce moment ,
    je rêve …. Un rêve bizarre que j’aurai probablement oublié au réveil.

    J’entend qu’il me parle,
    des mots pâteux qui se fraient un laborieux passage jusqu’à mon cerveau embrumé .

    -Tu ne touches à rien , et surtout tu ne vomis pas , sinon tu dois payer une caisse de bière !!!-

    C’est la dernière chose que je crois entendre avant qu’il ne referme d’un claquement sec
    le toit de mon cercueil de verre , c’est l’exacte impression que j’ai ,
    à demi allongé dans un étroit fourreau transparent ,
    un étrange manche de bois entre les genoux .

     

    Une sourde inquiétude commence à me gagner
    à mesure que progressivement je me rend compte du surréalisme de la situation.

    Quelques mètres devant moi , une camionnette de dépannage se met en branle ,
    déroulant derrière elle un fil de remorque qui se tend brusquement
    alors que moi aussi je me met à rouler.

    Nous prenons de la vitesse et j’ai la sensation de quitter le sol , je ne vois plus la voiture , seulement l’extrémité du fil qui nous relie comme un cerf-volant , je monte toujours
    et dépasse bientôt de beaucoup la cime fantomatique des arbres.
    J’aperçois les lumières de la ville encore noire sous le ciel qui rougeoie du côté du levant . Anxieux je regarde partout , les vapeurs d’alcool insuffisantes pour annihiler
    la panique qui me gagne….
    un grand choc me propulse soudain dans les airs , collé au siège , vert de peur ,
    les tripes nouées , je sens l’appareil bondir comme un ascenseur fou….
    je comprend que le fil s’est décroché et que plus rien ne me relie au sol.

     

    Dans un silence impressionnant , j’évolue très haut , au-dessus de Brême ,
    entre mes jambes je vois scintiller le fleuve comme un ruban argenté
    au milieu des toits et des clochers qui se teintent de rose à mesure qu’ils émergent de la nuit , le ciel , tout à l’heure bleu sombre s’éclaire de plus en plus et je glisse parmi des nuages aux reflets d’arc-en-ciel….c’est grandiose , irréel , magique , j’en oublie ma peur , devant moi le manche oscille de droite à gauche faisant mollement tanguer la cabine d’un bord sur l’autre , instinctivement je tend la main pour l’immobiliser….
    une tape sur l’épaule me fait sursauter..

    -On ne touche à rien !!!-

    Je suis sidéré…je ne suis pas seul , quelqu’un derrière moi me parle ,
    et manifestement contrôle nos évolutions….
    tout à fait dégrisé maintenant , je pousse un profond soupir de soulagement
    et me laisse aller , subjugué , à admirer la splendeur du spectacle ,
    tandis que la voix inconnue met des noms sur la mosaïque
    de plus en plus colorée qui défile en silence sous nos pieds.

     

    Comme un grand oiseau aux ailes déployées ,
    l’appareil glisse en douceur dans l’herbe grasse et humide
    avant de s’immobiliser sans bruit….des gens courent vers nous….
    Andreas fait coulisser la coque de plexiglas et me détache….
    les jambes flageolantes j’enjambe le rebord de toile blanche
    et pour lapremière fois , regarde derrière moi….
    un blond moustachu me sourit de toutes ses dents et me tend la main
    tandis qu’il saute à terre à son tour .

    - Tu connais mon frère ! – lâche Andreas sur un ton laconique
    avant de m’entraîner vers sa Volkswagen
    garée un peu plus loin , à l’entrée du terrain d’aviation.


     

     

     


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